Les rickshaws, ces tricycles à propulsion humaine ont quasiment disparu en Inde, laissant place à des milliers d’auto rickshaws, des véhicules motorisés, plus rapides et polluants. Avec la disparition de ces tricycles au charme d’antan, où la ballade au prix modique était d’un plaisir inestimable, disparaît aussi à grande vitesse, le métier du conducteur de rickshaw qui faisait vivre, il y a encore quelques années, des milliers de familles indiennes Tous n’ont pas pu acheter des autorickshaws, certains ont abandonné le métier et seule une poignée de téméraires tentent de survivre dans cette Inde qui se modernise.
Lorsque j’ai rencontré Rickshaw mama il y a 10 ans maintenant, il m’avait dit que pour rien au monde il ne se séparerait de son Rickshaw et m’avait promis que les rickshaws ne disparaitraient jamais en Inde, je savais bien qu’il était beaucoup trop idéaliste! Parti à sa recherche, à Pondichéry, je n’ai pu le retrouver, seuls les souvenirs sont là pour se rappeler de cet homme ordinaire et extraordinaire à la fois.
C’est avec un pantalon retroussé jusqu’aux genoux, une chemise un peu déboutonnée et un grand sourire sur un visage plein de sueur que Rickshaw mama arrive vers moi en descendant du siège de son rickshaw. Il n’est pas très grand, pas très frais c’est sûr mais il a grand cœur. C’est la première fois que je le rencontre, un soir d’un mois de juillet 2003 dans les rues de Pondichéry. C’est cette année là, que je décide de partir en Inde pour réaliser un reportage afin de concourir à un des nombreux festivals de films documentaires. Je n’ai pas encore choisi un sujet mais très rapidement, des personnes de mon entourage me proposent d’aller à la rencontre de ce bonhomme un peu particulier, celui qu’on appelle « Rickshaw mama » qui veut dire « oncle rickshaw » en tamoul…
Contente de l’avoir rencontré une première fois, comme par hasard dans les rues de Pondichéry, je lui propose de me raconter sa vie un peu originale, dont j’avais déjà entendu parler ici et là dans la ville et de venir à la maison pour discuter de mon projet de documentaire.
Dès le lendemain, il vient à ma rencontre et m’apporte des albums photos pour illustrer les années de sa vie qu’il a consacrées à des enfants de la rue. Je scrute alors les photos. Rickshaw mama apparaît avec des enfants et des personnes parfois inconnues pour moi, mais qui sont de véritables personnalités en Inde et à Pondichéry. On voit des enfants devant un gâteau d’anniversaire et une personnalité qui offre des cadeaux aux enfants présents. Et quand je n’arrive pas reconnaître le VIP en question, Rickshaw mama me donne tout de suite des précisions. Ce sont, pour la plupart des hommes politiques de Pondichéry, des hauts fonctionnaires de la police ou de l’administration indienne, des écrivains ou des militants. Par contre, parmi les personnalités, je reconnais des strars du cinéma kollywoodien comme Rajinikant, Kamalhasan, Saratkumar et pleins d’autres.
Je suis à la fois surprise et à la fois admiratrice de cet homme, qui pour célébrer l’anniversaire d’un enfant de la rue, fait des déplacements et des organisations minutieuses pour la seule joie de l’enfant. L’enfant est bien sûr comblé, heureux d’avoir rencontré une star ou d’avoir reçu des cadeaux des mains d’un VIP. En effet, que peut demander de plus un enfant qui vit matin et soir dans la rue ?
Je décide après notre entretien de le suivre quelques jours pour faire un reportage et sans avoir de réelles compétences de JRI (journaliste reporter d’image) je me lance dans cette petite aventure.
Le premier jour de tournage ce sera pendant ses courses, en tamoul on dit « savari », sans doute dérivé du mot “safari”. Rickshaw mama débute ses journées par le transport collectif des écoliers issus de familles très pauvres, résidant dans des quartiers périphériques de Pondichéry. Je le suis dès 7h du matin, mon oncle me transporte sur son scooter, je peux ainsi filmer tout en restant assise, les mouvements du rickshaw. Etant aussi originaire de Pondichéry mais que j’ai quittée très jeune, je découvre moi aussi l’autre face de la ville, des quartiers insalubres et misérables où des familles vivent dans une situation très précaire dans des maisons construites de bric et de broc.
Chaque matin de la semaine, Rickshaw mama récupère des enfants de plusieurs de ces familles et les dépose dans les différentes écoles de la ville. Puis, en fin de la journée, il les ramène à leur domicile.
Sa journée se poursuit après le “school savari”, par l’attente de clients, à un arrêt des rickshaws. Plusieurs de ces collègues sont présents, certains continuent de dormir alors que d’autres sont déjà en train de négocier les tarifs. Rickshaw mama me raconte qu’il gagne entre 60 et 120 roupies (1 à 2 euros) par jour grâce à ses courses en ville, cela lui permet de nourrir sa femme et lui, et de garder les sous qu’il lui reste pour organiser le prochain anniversaire d’un enfant de la rue. En effet, il s’occupe de tous les préparatifs et s’assure d’avoir assez d’argent. Il demande aussi parfois l’aide à des personnalités et à ses connaissances, afin de réussir l’évènement.
Il est presque 13h, c’est bientôt l’heure de déjeuner, je l’accompagne jusqu’à l’entrée du grand marché de Pondichéry où il va acheter sa nourriture. Le midi, il lui arrive de manger seul mais cette fois-ci il mange avec ses collègues rickshaws, il récupère aussi de l’eau dans un distributeur d’eau public. Je décide moi aussi de rentrer manger et je le retrouverai donc à 16h à la sortie des écoliers.
Je suis assez étonnée de voir près de 20 écoliers s’agglutiner dans un même rickshaw (celui-ci est supposé transporter deux adultes et deux enfants en temps normal). Mais les parents lui font confiance, la ceinture de protection est bouclée des deux côtés de l’engin, et c’est parti…
Il pratique aussi un tarif préférentiel avec les familles de ces écoliers mais son gagne pain véritable ce sont les courses en ville. A partir de 5 roupies la course, il peut traverser la ville sans problème en pédalant toujours pieds nus et transportant jusqu’à150 kilos sur son rickshaw.
Après presque une journée de tournage, je lui annonce que je vais partir quelques jours visiter des villes de l’Inde du Sud et qu’à mon retour je filmerai sa prochaine célébration d’anniversaire d’un enfant de la rue. Il était content de voir qu’une étudiante venant de l’étranger s’intéresse à sa vie et d’autre part, il était ravi d’être le héros de mon film documentaire.
J’ai réalisé le documentaire que j’ai finalement décidé de ne pas faire concourir pour des raisons techniques mais il a été diffusé par une chaîne locale de Pondichéry.
Très bel article : tout à la fois détaillé, humain, et beau. Merci
Merci beaucoup Nadir et Bienvenue sur mon blog!